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En Allemagne, une décision de justice bride la vente de produits financiers toxiques
Article paru dans l'édition du 24.03.11
La Deutsche Bank a été condamnée. Une dizaine de plaintes vont suivre

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our les experts, l'arrêt fera date dans l'histoire de la finance allemande. La Deutsche Bank (DB), première banque allemande, a été condamnée par la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof, l'équivalent de la Cour de cassation) du pays, mardi 22 mars, à verser 540 000 euros de dommages et intérêts à une entreprise pour lui avoir vendu des produits dérivés financiers complexes sans l'avoir suffisamment informée des risques encourus. Première du genre, la décision pourrait inspirer une série d'actions en justice, et affecter les pratiques de tout le secteur bancaire allemand.

C'est d'abord un sérieux revers pour la DB, atteinte dans sa crédibilité. La banque a dû s'incliner face à son ancien client, Ille Papier-Service GMBH, obscure petite entreprise de la région de Hesse (ouest), spécialisée dans la fabrication de matériel et de papier hygiéniques.

L'entreprise avait acheté en 2005, sur les conseils de son banquier, des produits financiers appelés « spread ladder swaps ». Ces produits dérivés complexes spéculaient sur les différences de taux d'intérêt de long et de court terme, en pariant sur des taux plus élevés à long terme. Un investissement présenté comme très intéressant par le banquier, et qui s'est révélé désastreux pour l'entreprise quand les taux d'intérêt à court terme ont explosé fin 2005 : en quelques mois, ses pertes ont atteint un demi-million d'euros.

Quelque 500 entreprises et 200 collectivités locales auraient aussi acquis ces produits risqués auprès de la DB et d'autres banques allemandes, comme la Commerzbank et l'HypoVereinsbank. Pour certains clients, les pertes sont gigantesques. Le cas de Pforzheim (sud-ouest), 120 000 habitants, est dramatique : la ville, déjà criblée de dettes, a vu ses pertes gonfler de mois en mois pour atteindre 56 millions d'euros. Croyant opérer une bonne gestion de ses taux d'intérêts, la municipalité a en réalité spéculé avec l'argent du contribuable.

Une dizaine de plaintes similaires émanant d'entreprises ou de collectivités contre la DB sont actuellement en attente de jugement. Le risque - contre lequel la banque a déclaré être assurée - est estimé à 1 milliard d'euros.

Mais la véritable portée de la décision de la cour de justice va bien au-delà. Le juge allemand a en effet estimé que la Deutsche Bank avait failli par deux fois à son obligation d'information : d'abord en cachant à son client l'importance des risques « théoriquement illimités » contenus dans ces spread ladder swaps, mais aussi en lui dissimulant les énormes gains qu'elle réalisait en cas de pertes pour le client. Désormais, selon la décision, tout « conflit d'intérêt » devra être notifié, afin d'assurer une « égalité des armes » entre client et banque dans le cas de produits financiers complexes.

Pour Hans-Peter Burghof, spécialiste en finance de marché à l'université d'Hohenheim, cette nouvelle exigence de transparence devrait affecter directement le modèle économique des banques. « Aujourd'hui, aucun établissement ne communique à son client les profits qu'il réalise en lui vendant des produits financiers, explique-t-il. Il va sans doute devenir plus difficile pour les banques allemandes de vendre des produits complexes à l'avenir. »

Cécile Boutelet
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