out au long du mois de janvier, les rentrées judiciaires ont été émaillées de prises de parole inhabituelles, d'incidents, de boycotts d'avocats, de greffiers ou de magistrats. « Je vous appelle au combat ! Au combat pour le droit, au combat pour les libertés, au combat pour la sauvegarde de votre indépendance ! » Le premier président de la cour d'appel de Rennes, Michel Couaillier, est ainsi sorti des habituelles circonvolutions de ce genre de discours pour dire l'inquiétude des magistrats, comme l'a fait son homologue de la cour d'appel de Nîmes, Jean-Pierre Goudon ( Le Monde du 11 janvier).
Les rentrées sont un élément du rite judiciaire, qui permet de se livrer, en habits d'apparat, à des assauts d'éloquence mêlant autocongratulations et déplorations sur le manque de moyens de la justice. Après une année de relations tendues entre les magistrats et la garde des sceaux, Rachida Dati, ces audiences ont été l'occasion de souligner le malaise de la justice.
« ÇA CRAINT ! »
Le président du tribunal de Versailles, Jean-Yves Monfort, a fait un détour par l'histoire, pour évoquer le projet de loi sur la rétention de sûreté, en évoquant le criminel dangereux et « le malade mental, privé de son libre arbitre, promu, au gré des derniers faits divers, au rang d'épouvantail des sociétés modernes ». « Radier ces hommes-là de la société, ce serait renier plus de 2 000 ans de civilisation », a-t-il conclu .
« Ça craint ! », a lancé de façon peu orthodoxe Gilles Maguin, président du tribunal de Bourges, avant de s'interroger sur « la cohérence » de la réforme de la carte judiciaire, salué par des applaudissements des magistrats, devant le préfet du Cher qui a hésité à quitter la salle d'audience. A Cahors, le président Gilles Accomando a ironisé sur les « bruits médiatiques judiciaires » en évoquant le juge délégué aux victimes ( « un ersatz de juge, une usine à gaz remarquable »), la carte judiciaire « sans véritable logique » et la mise en oeuvre de lois à chaque fait divers. Le président du tribunal de Metz, François Staechelé, a évoqué une « véritable crise morale de la justice », en parlant de « désenchantement », ce qui est « pire que la colère ».
Les membres du parquet prennent aussi la parole. La procureure de Guingamp, Anne-Sophie Monnet, s'est insurgée contre la fermeture programmée du tribunal, qui « a fait l'effet d'un raz de marée, tant elle a été brutale, inattendue, inexplicable et inexpliquée, dépourvue de toute concertation en ce qui nous concerne et d'explications, hormis celles absolument identiques et stéréotypées, données à toutes les juridictions se trouvant dans notre cas ». Son homologue de Carcassonne, Jean-Paul Dupond, dénonce l'absence de pôle d'instruction : « Je veux témoigner de l'incompréhension qui est la nôtre : nous, magistrats, nous savons qu'une décision, pour être acceptée, doit être motivée. Et aucune explication ne nous a été donnée. »
A Agen, les avocats se sont présentés corde au cou. Couverts de masques blancs à Tours. En haie d'honneur à Orléans. Vendredi 25 janvier, en l'absence de Rachida Dati, son directeur de cabinet, Patrick Gérard s'est fait huer lors de l'assemblée générale de la Conférence des bâtonniers.
Alain Salles (avec nos correspondants)